Voter une loi c’est bien, l’appliquer c’est mieux. Or l’un ne va pas tou­jours avec l’autre. Les lois ont beau enflam­mer les hémi­cy­cles, une fois votées, nom­bre d’entre elles ne relèvent que de la pâle déc­la­ra­tion d’intention. Pour l’an­née 2015, c’est plus de deux tiers des lois qui ne sont pas com­plète­ment entrées en vigueur six mois après leur pro­mul­ga­tion. Car hormis quelques textes qui s’ap­pliquent directe­ment – notam­ment en droit pénal – les lois néces­si­tent un ensem­ble de décrets pour entr­er dans notre quotidien.

Source : Sénat

Par manque de temps — quand ce n’est pas de la mau­vaise volon­té poli­tique – il arrive que les cab­i­nets min­istériels rechig­nent à la tâche. Oub­lis, retards, lacunes sont le lot quo­ti­di­en des textes régle­men­taires d’application des lois. « Le prob­lème est que les par­lemen­taires se sen­tent con­cernés par le vote de la loi, beau­coup moins par son appli­ca­tion », témoigne Pierre Januel, attaché par­lemen­taire du groupe écol­o­giste à l’Assemblée nationale et auteur du blog « Les cuisines de l’Assemblée » de l’Express.

35%

C’est le pour­cent­age de lois qui béné­fi­ci­aient de leurs décrets d’ap­pli­ca­tion six mois après leur pro­mul­ga­tion au Jour­nal offi­ciel en 2011.

Preuve en est, en 2011, seules 35 % des lois béné­fi­ci­aient de leurs textes d’application six mois après leur pro­mul­ga­tion au Jour­nal offi­ciel. Des mois, voire des années durant, des normes, pour­tant solen­nelle­ment adop­tées, peu­vent ne rester que par­tielle­ment appliquées.

Vic­time de ce mal bien con­nu du palais Bour­bon : la loi de mars 2014 pour l’accès à un loge­ment et à un urban­isme rénové (Alur). Deux ans après son adop­tion par la représen­ta­tion nationale, le texte de l’ancienne min­istre du Loge­ment, Cécile Duflot, attend tou­jours plus d’une soix­an­taine de décrets d’application pour être totale­ment appliquée. Une défail­lance qui relève cette fois plus du choix poli­tique que d’une iner­tie gou­verne­men­tale. Quelques mois seule­ment après son instal­la­tion à Matignon, Manuel Valls avait annon­cé vouloir « apporter un cer­tain nom­bre de mod­i­fi­ca­tions » à la loi de la min­istre démis­sion­naire. Ce sera finale­ment un enter­re­ment de pre­mière classe. On com­prend mieux la lib­erté prise par cer­tains bailleurs parisiens quant au respect de l’encadrement des loy­ers, décrite par Pam­pa Mag la semaine dernière.

Le CV anonyme enterré

La loi Alur n’est pour­tant pas la plus à plain­dre. D’autres mesures lég­isla­tives, elles aus­si adop­tées à la majorité par­lemen­taire, ont tout bon­nement été enter­rées. Une fin qu’a con­nu par exem­ple le dis­posi­tif phare de la loi de 2006 sur l’égalité des chances, cen­sé ren­dre oblig­a­toire pour toute embauche dans les entre­pris­es de plus de cinquante salariés, la sélec­tion des can­di­dats sur “CV anonyme”. Gom­mer son nom en haut d’une can­di­da­ture devait empêch­er cer­taines dis­crim­i­na­tions. Dix ans plus tard, le décret n’a jamais été pris. Les députés ont même abrogé la mesure en 2015 : con­traire­ment à ce qu’indi­quait la loi, le dis­posi­tif sera facultatif.

C’est un geste basse­ment poli­tiqueDavid Assouline, séna­teur PS de Paris

Pour enray­er ce phénomène et redonner sa force au tra­vail lég­is­latif, une com­mis­sion séna­to­ri­ale pour le con­trôle de l’application des lois a été créée en 2011. « L’objectif était d’identifier les points de blocages et de coller aux basques du gou­verne­ment pour qu’il sorte en temps et en heure les décrets d’application néces­saires aux lois votées, relate l’ancien prési­dent de la com­mis­sion, le séna­teur PS de Paris David Assouline. En par­tie grâce à notre tra­vail, les choses se sont net­te­ment améliorées, ce qu’a d’ailleurs salué l’Assemblée nationale comme nom­bre d’observateurs. » Et pour cause, le taux de lois applic­a­bles six mois après leur pro­mul­ga­tion est passé de 35% en 2011 à 65% en 2014.

Ce suc­cès n’a pas dis­suadé le séna­teur LR Gérard Larcher, réélu prési­dent du palais du Lux­em­bourg après 3 ans d’alternance, de ray­er d’un trait de plume la fameuse com­mis­sion. « C’est incom­préhen­si­ble, s’insurge encore le séna­teur David Assouline. L’ap­pli­ca­tion des lois nous con­cerne tous et notre action était saluée par tout le monde. C’est un geste basse­ment poli­tique, la com­mis­sion ayant été créée par la gauche, la droite s’est dit qu’il s’agissait d’un bon moyen de tourn­er la page. » Con­tac­té par Pam­pa Mag, le cab­i­net de Gérard Larcher n’a pas souhaité don­ner suite.

Gérard Larcher en 2015. Crédits: Kremlin.

Gérard Larcher en 2015. Crédits: Kremlin.

« Le con­trôle de l’ap­pli­ca­tion des lois est évidem­ment un point très impor­tant sur lequel nous pou­vons encore pro­gress­er, mais nul besoin d’une com­mis­sion séna­to­ri­ale pour cela, tem­père la séna­trice LR des Hauts-de-Seine, Isabelle Debré. Les chiffres vien­nent de baiss­er à nou­veau mais cela n’a rien à voir avec la dis­pari­tion de la com­mis­sion. Il faut que le gou­verne­ment fasse son boulot et sec­oue ses min­istres. »

Depuis 2014, c’est désor­mais aux dif­férentes com­mis­sions per­ma­nentes de con­trôler d’elles-mêmes l’application des lois dont elles ont la charge. Elles n’en ont pour­tant ni la déter­mi­na­tion, ni les moyens. « Les com­mis­sions per­ma­nentes n’ont pas les mêmes marges de manœu­vre que l’ancienne com­mis­sion de con­trôle. Elles ne dis­posent que de très peu de temps à y con­sacr­er », con­firme Pierre Januel. S’il est pos­si­ble de véri­fi­er soi-même la liste des décrets d’application d’ores et déjà sor­tis au sein des dossiers lég­is­lat­ifs disponibles sur les sites inter­net de l’Assemblée, du Sénat ou sur Légifrance, le cal­en­dri­er des textes restant à pub­li­er est pure­ment indi­catif et rarement mis à jour.

Faisant désor­mais l’objet d’une com­mu­ni­ca­tion en con­seil des min­istres, ain­si que d’un rap­port annuel présen­té par le Prési­dent de la délé­ga­tion du Bureau du Sénat, le bilan d’application des lois reste par­cel­laire. « Rien que pour nous, élus, il est déjà très com­pliqué de savoir où en sont les décrets d’application d’une loi. Il nous faut inter­roger, inter­peller. Rares sont les répons­es immé­di­ates, souligne David Assouline. Com­ment voulez-vous que le citoyen y parvi­enne ? » Pour s’y être attelé, Pam­pa Mag lui souhaite, en effet, bien du courage.